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Channel: bruxelles.blogs.liberation.fr - Actualités pour la catégorie : Avenir de l'Europe
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Le Brexit, un nouveau départ pour l'Union?

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Beaucoup, à Bruxelles ou dans les capitales européennes, veulent croire que la sortie complète du Royaume-Uni de l’Union européenne, après quarante-sept ans de participation, annonce un avenir glorieux pour la construction communautaire. Après tout, depuis son adhésion en janvier 1973, il n’a eu de cesse de freiner toute intégration supplémentaire. Sa capacité de nuisance et d’agrégation des mécontentements était telle que les institutions européennes préféraient revoir à la baisse ou carrément renoncer à des propositions qui risquaient de déplaire à Londres.

Ainsi, si le Royaume-Uni n’avait pas quitté les institutions politiques de l’UE le 31 janvier, «le fonds de relance de 750 milliards d’euros reposant sur un emprunt commun et une mutualisation du remboursement de la dette n’aurait pas vu le jour», souligne le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, ancien président de la Commission européenne (2014-2019). «Techniquement, on aurait pu le faire sans lui, mais est-ce qu’on aurait osé le faire ?» Pour lui, «atmosphériquement, leur départ facilite grandement le fonctionnement de l’Union».

L’ex-Premier ministre luxembourgeois tempère malgré tout : «D’autres pays vont prendre la relève, comme on l’a déjà vu avec le club des frugaux [Autriche, Danemark, Pays-Bas, Suède, ndlr] qui ont tenté de bloquer le fonds de relance. Il faut bien voir qu’en Europe, beaucoup de pays avançaient masqués et étaient ravis que Londres bloque pour eux.»

Quatre radins et des petits pays eurosceptiques

«Un diplomate suédois m’a dit qu’il regrettait le départ des Britanniques car désormais, il allait être obligé de travailler : «Avant, m’a-t-il expliqué, on se contentait de s’aligner automatiquement sur Londres»», s’amuse Jean-Louis Bourlanges, vice-président de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale.

De fait, si on fait le compte des Etats membres eurosceptiques, l’optimisme n’est pas de mise : outre les quatre «radins», il faut ajouter la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, la Slovénie, et selon les dossiers, la Slovaquie, Malte ou la Finlande. Mais il s’agit de «petits pays», même si certains d’entre eux sont riches, aucun d’entre eux n’approche, même de loin, le poids politique qu’avait le Royaume-Uni. Si Londres pouvait seul poser son veto, ce n’est pas le cas de cette kyrielle de petits et de moyens Etats qui risquent de le payer cher en termes d’influence. D’autant que ces héritiers présomptifs du Royaume-Uni ne présentent pas un front uni : les petits riches de l’Ouest sont réticents à toute solidarité financière, ce qui n’est pas le cas de l’Est européen qui, lui, est plutôt soucieux d’éviter toute contrainte politique.

De même, ces derniers ne sont pas les plus réticents à une défense européenne, à la différence des pays les plus atlantistes, comme les Pays-Bas. Sur à peu près tous les dossiers, les intérêts nationaux de ces pays divergent, et seuls, ils ne pèsent pas suffisamment pour prétendre freiner la marche vers davantage d’intégration.

Unisson

Mais encore faut-il que les cœurs de l’Allemagne et de la France battent à l’unisson : dans ce cas, rien ne peut se faire sans eux, rien ne peut se faire contre eux. Or Berlin revient de loin : «Fin 2019, on a reçu à la commission des affaires européennes des responsables allemands dans le cadre de la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne qui commençait le 1er juillet [et s’achève jeudi soir], se souvient Jean-Louis Bourlanges. Ils sont apparus comme très eurosceptiques, comme c’est le cas depuis 1992 : on oublie trop souvent que ce sont eux qui ont fait échouer la plupart des réformes institutionnelles de l’Union depuis cette date, ce qui nous a contraints à nous élargir à institutions égales.»

En clair, la France, qui a souvent été allante sur le plan européen, même si elle a été incapable de mettre de l’ordre dans son économie - ce qui a sans aucun doute contribué à accroître la méfiance allemande - s’est retrouvée seule. Et l’UE a patiné durant trente ans, accumulant des crises qui auraient pu être évitées ou au moins limitées.

Mais depuis le début de la pandémie, tout a changé. Dès lors que la chancelière allemande a compris, en mai, que la profonde récession résultant des mesures sanitaires ne pouvait qu’accroître les divergences économiques et, au final, menacer l’existence de l’euro, elle a accepté la proposition de Paris d’un endettement commun. Ce qu’elle refusait obstinément jusque-là. Dès lors, personne n’a pu stopper ce mouvement, ni les radins ni les pays de l’Est, qui ne voulaient pas que les versements à venir soient liés au respect de l’Etat de droit. «On aurait même pu le faire à deux, souligne Bourlanges. On peut fonctionner sans les autres pays alors qu’eux ne peuvent fonctionner sans nous.» D’ailleurs, depuis qu’Angela Merkel a fait un virage à 180° en matière européenne, les dossiers se débloquent les uns après les autres à une vitesse qui donne le tournis.

«Le vrai changement, c’est l’Allemagne»

Même si Juncker met en garde contre l’épuisement de «l’effet intégrateur de la pandémie», Bourlanges estime que, combinée avec la crise migratoire, la menace terroriste et l’isolationnisme trumpien (qui ne changera pas fondamentalement avec l’élection de Joe Biden), la pandémie marque une vraie rupture dans la politique européenne de Berlin. «Le vrai changement, ce n’est pas le Brexit, c’est l’Allemagne», va jusqu’à affirmer Bourlanges. «Ce n’est pas seulement la chancelière qui a changé, mais aussi l’opinion publique qui considère que la France est la meilleure alliée, devant les Etats-Unis», ajoute Jean-Dominique Giuliani, le patron de la Fondation Robert-Schuman, qui estime que ce changement est profond.

Bref, les brexiters qui croyaient que le départ du Royaume-Uni aurait la peau de l’UE en sont pour leurs frais : non seulement aucun pays, même les plus eurosceptiques, n’a suivi Londres, mais l’Union européenne accélère son intégration. Un échec de plus : ils n’ont pas réussi à la stopper de l’extérieur entre 1950 et 1973, ni de l’intérieur entre 1973 et 2020.

Photo : Yves Herman. Reuters

N.B.: article paru le 31 décembre


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